Erosion côtière et submersion marine : des risques naturels devenus enjeux de société

Installé au bord de la Seine, à Paris, le cabinet Lysias Partners a pleinement conscience que Paris, bien qu’éloignée du littoral, est la capitale de la 2ème puissance maritime mondiale.

Un phénomène mondial de grande ampleur

L’érosion côtière et la submersion marine constituent des phénomènes et un enjeu planétaires, en termes écologiques, migratoires, économiques et sociaux et inévitablement juridiques, lesquels se situent au confluent du droit privé et du droit public.

Aucune région littorale du monde n’est épargnée. Or, selon l’INSEE, 60 % de la population mondiale vit sur une bande de 150 km de large le long des rivages. 70 % des côtes sableuses sont affectées par le phénomène de l’érosion. En Afrique de l’Ouest, on connaît un recul moyen du trait de côte de deux mètres chaque année, allant de 25 à 140 mètres dans le cas spécifique des côtes mauritaniennes et sénégalaises. En Europe, ce sont 20 à 30 % des côtes qui sont concernées. A ce constat, il faut ajouter les prévisions pessimistes du GIEC concernant une potentielle élévation du niveau de la mer entre 1 et 2 mètre à l’horizon 2100 si les objectifs de la Convention de Paris sur le climat n’étaient pas tenus.

Un enjeu national majeur

L’érosion côtière et les risques de submersion marine constituent également, et en particulier, un enjeu majeur pour la France – hexagonale et surtout ultramarine -, deuxième puissance maritime mondiale. 27 % du littoral français est concerné. En France métropolitaine, 37 % de côtes sableuses et 23  % de côtes rocheuses sont en érosion, soit un linéaire d’environ 700 km. On estime à 30 km2 la surface de territoire perdue depuis 50 ans.

Aux impacts écologiques du phénomène (disparition des plages et des dunes, dégradation des lidos et des lagunes), s’ajoutent des enjeux économiques et sociaux considérables car un nombre très important d’habitations (principales ou secondaires), d’infrastructures (portuaires, ferroviaires, routières, aéroportuaires, centrales nucléaires) et d’activités (agricoles, touristiques, industrielles…) est menacé. Naturellement, les enjeux financiers sont colossaux. Il y a une dizaine d’année, l’ONERC (Observatoire National sur les Effets du Réchauffement Climatique) avait estimé le coût cumulé au cours du siècle en termes de dommages potentiels aux seuls logements entre 15 et 35 milliards d’euros.

En France, la prise de conscience de l’acuité du problème ne date que d’une dizaine d’années après la survenance de la tempête Cynthia en février 2010.

Un cadre juridique inégalement protecteur

La loi n°95-101 du 2 février 1995 relative à la protection de l’environnement a mis en place le dispositif du Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs (FPRNM), plus connu sous le nom de « fonds Barnier ». Son régime juridique est défini aux articles L. 561-1 et suivants et R. 561-6 et suivants du code de l’environnement. Initialement, il devait permettre d’indemniser les propriétaires expropriés en raison de risques prévisibles menaçant gravement les vies humaines générées par des mouvements de terrain, avalanches ou crues torrentielles. Ce n’est qu’après la tempête Xynthia qu’il a été étendu  aux risques de « submersion marine » par la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. C’est ainsi que le fond a servi à indemniser, ainsi que le relève la Cour des comptes en 2012, les propriétaires de 1159 biens rachetés à l’amiable pour un montant total de 293,3 millions d’euros.

Or, dans sa décision n° 2018-698 QPC du 6 avril 2018, dite « Le Signal », le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de l’exclusion de la procédure d’expropriation pour risques naturels majeurs des propriétaires d’immeubles menacés par l’érosion dunaire, ce qui exclut donc des possibilités d’indemnisation par le fonds Barnier des cas d’érosion côtière sur côte sableuse, à l’inverse d’autres risques littoraux tels que la submersion marine. Les habitants des littoraux français sont donc traités différemment selon la situation des immeubles concernés et les risques auxquels ils sont exposés. Pour les uns, est mobilisé un dispositif d’expropriation et d’indemnisation relativement généreux et, pour les autres, la perte « sèche » de leur bien, sans expropriation préalable ni indemnisation. A cela, s’ajoute le fait que les biens privés seront incorporés au domaine public maritime, lequel sera délimité selon la procédure prévue aux articles L. 2111-4 et suivants du CGPPP, par la simple constatation des effets de l’érosion, et donc sans indemnité pour les propriétaires dépossédés de leur bien.

Cela étant, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 22 septembre 2017 (req. n° 400825) ne ferme pas la porte à un traitement au cas par cas ni à une possible réparation du préjudice subi « dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entrainerait (…) une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ».

Quelle action publique avant et après l’érosion côtière ?

Tous les acteurs publics sont concernés : l’Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements. En vertu de l’article L. 211-7 bis du code de l’environnement, c’est en particulier aux établissements publics de coopération intercommunale qu’est confiée la gestion de l’eau, des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI). Et c’est à ce titre que les EPCI peuvent (et non pas doivent) décider d’exécuter des travaux de prévention des inondations et de défense contre la mer. A condition que de tels travaux aient un caractère d’intérêt général. En effet, la jurisprudence administrative considère que la protection des immeubles contre l’érosion du littoral incombe légalement aux propriétaires (CAA de Bordeaux, 9 février 2016 ; CE, 2 mars 1984, Syndicat intercommunal de l’Huveaune). La question de savoir qui doit assumer la charge de tels travaux relève donc d’une appréciation circonstanciée et nécessairement subjective de l’intérêt général. D’ailleurs, dans l’affaire dite du « Signal », le juge administratif avait fait preuve d’une approche très pragmatique en considérant que « les opérations pour protéger l’immeuble (…), évaluées entre 9,5 et 17 millions d’euros hors taxes (…) auraient, en tout état de cause, excédé, par leur coût et leur ampleur, les « précautions convenables » au sens de l’article L. 2212-2 précité du CGCT ».

La prise en compte de l’érosion côtière se heurte donc « naturellement » à un seul mur, celui de l’argent. L’aggravation du phénomène sous l’effet du réchauffement climatique produira des conséquences économiques et sociales, elles aussi « phénoménales ». Il ne s’agit plus de catastrophes naturelles ou de risques exceptionnels, mais d’un risque qui devient certain. Comment assurer les biens concernés par la survenance de tels risques ? Comment protéger leurs propriétaires ? Quel système indemnitaire mettre en place ? Quels outils financiers et juridiques, privés et publics, imaginer et actionner pour permettre d’affronter cette problématique. Les réponses restent à inventer. Mais, assurément, face à de tels enjeux, toute résistance est vaine. Il ne reste que le chemin de la résilience.

Sébastien DENAJA
Maître de conférences de droit public
Université Toulouse 1 – Capitole