Le transfert du risque pénal en cas de fusion-absorption

Le 25 novembre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, réunie en formation solennelle, est revenue sur sa jurisprudence existante relativement à la possibilité pour une société absorbante d’être pénalement condamnée pour des faits commis par la société absorbée antérieurement à l’opération de fusion-absorption.

Il s’agit d’une décision de justice majeure qui impose de prêter une attention renforcée au risque pénal dans le cadre de la négociation d’opérations de fusion-absorption.

La société Intradis, spécialisée dans l’archivage, faisait l’objet de poursuites pénales du chef de destruction involontaire par incendie pour des faits remontant à 2002. A ce titre, elle faisait l’objet d’une convocation devant le Tribunal correctionnel en novembre 2017. Cependant, huit mois avant l’audience, Intradis était absorbée par la société Iron Mountain France SAS à la suite d’une opération de fusion absorption. Le Tribunal correctionnel avait alors ordonné un supplément d’information pour déterminer les circonstances de la fusion et notamment s’assurer que cette opération n’était pas motivée par un objectif frauduleux. La Cour d’appel d’Amiens avait confirmé, en 2018, l’ordonnance du tribunal. La société Iron Mountain avait alors saisi la Cour de cassation, considérant que ce supplément d’information portait atteinte au principe de responsabilité pénale personnelle en vertu duquel nul ne peut être tenu responsable de faits commis par autrui.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, dans son arrêt du 25 novembre 2020, « qu’en cas de fusion-absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive [européenne sur les fusions], la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération. »

Cette solution constitue un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation. En effet, elle considérait traditionnellement que la fusion-absorption et la disparition de la personnalité morale de la société absorbée qui en résultait faisaient obstacle à la condamnation de la société absorbante pour des faits délictueux commis avant la fusion. Les juges réservaient toutefois l’hypothèse d’une fusion-absorption frauduleuse réalisée dans l’objectif de mettre fin à des poursuites pénales engagées à l’encontre de la société absorbée.

Ce revirement de jurisprudence, bien que majeur, était toutefois attendu. En effet, il fait suite à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui avait retenu, sur le fondement de la directive européenne relative à la fusion des sociétés anonymes (directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978), qu’une fusion par absorption entraîne la transmission à la société absorbante de l’obligation de payer une amende infligée après cette fusion pour des infractions commises par la société absorbée avant la fusion (CJUE, 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condiçoes de Trabalho, C-343/13). La Cour de cassation retient qu’elle n’a d’autre choix que de faire évoluer sa jurisprudence pour se conformer au droit européen, d’autant plus que cette solution a récemment été adoptée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 24 octobre 2019, Carrefour France c/ France, n°378858/14).

La solution dégagée par la Cour de cassation répond à un impératif d’efficacité de la sanction pénale mais également de réalité économique. En effet, l’activité économique de la société absorbée est poursuivie par la société absorbante,  l’ensemble de ses actifs et passifs sont transférés à cette dernière, les contrats de travail en cours se poursuivent et les actionnaires de la société absorbée deviennent actionnaires de la société absorbante.

La Cour avait déjà retenu une telle solution jurisprudentielle pour les dommages-intérêts civils prononcés à l’encontre d’une société absorbée et dont la société absorbante était alors redevable.

Il convient toutefois de noter que dans son arrêt, la Cour de cassation ne se prononce que sur les fusions régies par la directive européenne de 1978, c’est-à-dire celles des sociétés anonymes (SA) et des sociétés par actions simplifiées (SAS). En outre, elle ne mentionne que la peine d’amende et de confiscation et  non les autres peines complémentaires de nature à être prononcées (interdiction d’exercer une ou plusieurs activités professionnelles, fermeture définitive ou pour une durée limitée d’établissements, l’exclusion des marchés publics, etc.).

De plus, la solution dégagée par la Cour de cassation n’a pas d’effet rétroactif et ne s’applique qu’aux fusions-absorptions réalisées après le 25 novembre 2020.

Pour les opérations de fusions à venir, il est donc essentiel que l’entreprise et ses conseils accordent une importance particulière aux clauses de garantie de passif et prévoient également des mesures d’audit renforcées en matière de risque pénal, dans l’ensemble de ces composantes, en ce compris le droit de l’environnement,  le droit du travail et le droit fiscal.

Il s’agira également, dès le stade de l’enquête préliminaire ou de l’information judiciaire, d’examiner les moyens de défense que la société absorbée pouvait invoquer et dont bénéficierait la société absorbante afin de se dégager de toute responsabilité pénale. L’on pense à la prescription ou à tout moyen de nullité.

Pierre-Emmanuel BLARD
Avocat associé, cabinet Lysias Partners

Florian SINTES
Avocat collaborateur, cabinet Lysias Partners