Plan de prévention des risques et droit de l’urbanisme, des rapprochements bienvenus

La planification est une pratique qui, bien que répandue à travers le monde, prend une dimension particulièrement importante dans notre pays. En matière d’urbanisme et d’environnement, l’inflation législative se double d’une volonté anticipatrice des risques et la situation actuelle qui en résulte est spécialement illisible. La question de l’agencement de ces plans entre eux est donc une question pratique spécialement importante. Le caractère technique – et même technocratique – de cette question conduit la doctrine à s’être peu penché sur la question et à se référer encore au principe de l’indépendance des législations comme fil d’Ariane. Ce principe, véritable clef de compréhension de l’agencement des différentes polices administratives spéciales, prévoit que l’on doit, simplement, considérer chacune de ces législations pour elle-même, sans chercher à ce qu’elles soient cohérentes entre elles. Cependant, face à un maquis inextricable de textes, les textes et la jurisprudence prévoient de plus en plus d’écarter le principe et organisent des situations d’interdépendances des plans.

Les plans de prévention des risques, une intention étatique aux enjeux divers

Quelle que soit la catégorie de Plan de prévention, leur objectif est toujours de prévenir les atteintes aux personnes, aux biens ou à l’environnement. Ils ne se distinguent cependant pas selon l’objet protégé, mais selon le type de risque. Les plans de prévention des risques (PPR) sont ainsi de trois ordres, d’abord on trouve les plans de prévention des risques naturels prévisibles (L. 562-1 c. env.), qui se divisent eux-mêmes en plusieurs sous-catégories : les plans de prévention des risques d’inondations, d’incendies de forêt, d’avalanches, de tempêtes, de séisme ou mouvement de terrain, de submersion ou, dans nos Outre-Mer, d’éruption volcanique et de cyclones. L’objectif de ces plans n’est pas d’empêcher la catastrophe naturelle, elle est d’en minimiser les effets lorsqu’elle adviendra. Viennent ensuite les plans de prévention des risques miniers (L. 174-5 du code minier). Enfin, on trouve les Plans de prévention des risques technologiques (L. 515-15 c. env.) issus de la loi du 30 juillet 2003 qui tire les conséquences de la catastrophe d’AZF et prévoit ces plans autour des établissements Seveso 2, soit près de 450 PPRT.

Pris par arrêtés préfectoraux, après enquête publique, ils sont constitués de trois documents. La note de présentation va présenter les risques encourus et justifier le champ d’application du plan, les documents graphiques vont préciser sur le terrain les limites des contraintes, elles-mêmes détaillées dans le Règlement.

Les plans de prévention des risques prévoient des servitudes d’utilité publique – c’est-à-dire des obligations pour le propriétaire du fond – qui peuvent comprendre des obligations d’aménagements, des normes de construction, le respect de conditions d’évacuation, un ensemble divers de règles qui vont jusqu’à l’inconstructibilité. Ces obligations dépendent de la zone dans laquelle est un terrain déterminé, soumis à plus ou moins de contraintes. Ainsi, dans les Plans de prévention des risques Inondations (PPRI), on distinguera des zones rouges (inconstructibles), bleues (constructibles sous conditions) et blanches (constructibles sans condition particulière).

On notera que le non-respect des prescriptions des Plans de prévention est souvent assorti de sanctions pénales, ce qui a d’ailleurs été appliqué contre le maire de la Faute-sur-Mer lors de l’inondation d’un quartier par la tempête Xynthia qui a provoqué la mort de 53 personnes en 2010.

Les plans de prévention des risques s’imposent aux plans d’urbanisme

Les plans de prévention des risques présentent des caractéristiques originales. Ils ont en effet pour objectifs la protection des populations et leurs contraintes doivent pouvoir s’imposer rapidement et efficacement aux autres plans, sans quoi ils perdent une partie de leur intérêt. C’est ainsi que la façon dont ils s’imposent aux plans d’urbanisme est aujourd’hui un enjeu notable dans la prévention des risques. L’article L. 101-2 C. urb. prévoit généralement que les auteurs des plans d’urbanisme assurent « 5° La prévention des risques naturels prévisibles, des risques miniers, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature ». Le contrôle normal réalisé par le juge sur le respect de cet objectif conduit ainsi au nécessaire lien entre les plans d’urbanisme et les PPR. L’État transfert d’ailleurs ces plans aux auteurs des documents d’urbanisme au titre du « porté à connaissance ».

L’ordonnance n° 2020-745 du 17 juin 2020 relative à la rationalisation de la hiérarchie des normes d’urbanisme prévoit au nouvel article L 131-1 10° que les Schémas de cohérence territoriale (SCoT) doivent être compatibles avec un autre plan qu’il ne faut pas confondre avec les PPRI et qui se nomment les Plans de gestion des risques d’inondation et qui se prennent à l’échelle d’un bassin ou groupement de bassins (art. L. 566-7 C. env.). Cette compatibilité se retrouvera aussi dans le lien – lui aussi de compatibilité – entre le SCoT et le plan local d’urbanisme.

Les PPRI se retrouvent pour leur part dans les annexes du Plan local d’urbanisme (PLU). Les articles R. 151-51 et R. 161-8 C. urb. renvoient à une liste des servitudes d’utilité publique annexées au PLU dans laquelle on va retrouver nos trois catégories de PPR : les plans de prévention des risques naturels prévisibles (R. 151-53 9°), les plans de prévention des risques miniers et les plans de prévention des risques technologiques. Le code de l’environnement prévoit aussi, en miroir, cette insertion des PPR dans les annexes du PLU dans son article L. 562-4. La présence dans les annexes oblige à une cohérence de ces dispositions avec le reste du PLU. Pour autant, il n’y a pas de reprise automatique dans les plans d’urbanisme des dispositions précises des PPR qui restent une législation indépendante « en lien » avec celle d’urbanisme. Ainsi, le rapport de présentation du et le plan d’aménagement et de développement durable (PADD) du PLU devront-ils en reprendre les éléments du fond, sans avoir à les considérer comme s’imposant à lui.

Sur le plan procédural, on notera que la procédure intégrée peut être utilisée pour modifier un plan d’urbanisme lorsque la modification du plan est due à la nécessité de le mettre en compatibilité avec un Plan de prévention des risques, quel qu’il soit (art. L 300-6-1 IV C. urb.), cette modification devant avoir lieu sous trois mois.

Les plans de prévention des risques et les autorisations d’urbanisme : une protection au cas par cas

Les développements récents conduisant à l’influence la plus importante des Plans de prévention de risques sur le droit de l’urbanisme ne concernent cependant pas la planification. La mise en place d’une opposabilité directe des PPR aux autorisations d’urbanisme permet en effet une protection encore plus directe des populations. La jurisprudence administrative est donc allée dans ce sens ces dernières années.

Cela a d’abord été le cas par un avis CE 23 février 2005 Mme Hutin n° 271270 dans lequel le juge administratif a accepté une limite au droit à la reconstruction à l’identique d’un immeuble détruit par une catastrophe (prévus à l’ancien article L. 111-3 C. urb.) lorsqu’il existe « un risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger leur sécurité », en se référant à la possibilité ouverte par l’article R. 111-2 C. Urb. de refuser un permis pour des raisons de « sécurité publique ». Sur ce fondement, le Conseil d’État a considéré que l’existence d’un Plan de prévention des risques suffisait à caractériser le risque certain et prévisible et rendait opposables ces plans aux autorisations d’urbanisme (CE 17 déc. 2008, M. A c/Cne de Valloire, n° 305409, à propos d’un couloir d’avalanche). L’article L. 111-15 C. urb. actuel (issu de l’ordonnance du 23 sept. 2015) a expressément prévu le droit à la reconstruction à l’identique, sauf si « le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement », ce qui semble plus restrictif que les jurisprudences antérieures, notamment en ce que cela ne vise pas les autres PPR et que cela ne semble pas laisser de marge de manœuvre à l’autorité délivrant le permis, même si par ailleurs l’article R. 111-2 C. urb. qui fonde aussi la solution des deux arrêts est toujours applicable. La jurisprudence est donc ensuite allée plus loin.

Un arrêt du Conseil d’État du 22 juillet 2020 Sté Altaréa Cogedim, n° 426139 a ainsi précisé les conditions de légalité des permis par rapport aux PPR. D’abord, il a étendu l’opposabilité des PPR à toutes les demandes de permis, et pas seulement aux cas de reconstruction. Ensuite, il a rappelé et précisé les conditions de l’opposabilité directe de ces plans (un PPRN en l’espèce) aux autorisations d’urbanisme, en se fondant sur l’article R. 111-2 C. Urb. L’autorité administrative doit en effet vérifier si l’autorisation ne respecte pas les obligations du PPR, et peut assortir son permis de conditions permettant leur respect (par exemple la construction sur pilotis ou avec un rez-de-chaussée non habitable pour les zones inondables). Le juge précise d’ailleurs que le maire peut aller au-delà des exigences du PPR pour assurer la sécurité des habitants de la construction. Il peut bien entendu estimer que le risque est tel qu’aucune prescription n’est possible et qu’il doit refuser l’autorisation, et les constructions construites illégalement pourront être détruites (L. 480-13 C. urb.). Il en sera ainsi, par exemple, dans des communes où une crue centennale a en réalité modifié les terrains au point que rien ne pouvait empêcher la destruction des biens, comme on l’a vu à Saint-Martin-Vésubie avec le passage la tempête Alex en 2020.

On notera trois points supplémentaires. D’abord que l’article R. 462-7 C. Urb. prévoit un récolement obligatoire – c’est-à-dire un contrôle de la conformité des travaux au permis – dans les zones de PPR, sauf pour le respect des normes parasismiques et paracycloniques. Ensuite que, pour les campings, l’obligation de respecter les PPR permettant des prescriptions dans l’octroi des autorisations d’urbanisme est expressément prévue à l’article L. 443-2 C. Urb., et que l’on se pose la question de savoir pourquoi un article plus général n’a pas été édicté. Enfin, les travaux induits par les obligations des PPR sont exonérés de la part communale ou intercommunale de la taxe d’aménagement en application de l’article L. 331-7 C. urb. Qu’il s’agisse de communes ayant un Plan local d’urbanisme ou de commune n’en ayant pas (L. 111-4 4 ° C. Urb.), l’opposabilité directe des PPR aux autorisations d’urbanisme apparaît donc comme la garantie la plus efficace de leur application et, de ce fait du renforcement de la sécurité des populations.

Professeur Grégory KALFLECHE
Professeur des Universités
Université Toulouse 1 Capitole