Prendre le préjudice écologique au sérieux
Depuis la décision de la Cour de cassation relative au naufrage du pétrolier Erika dans laquelle le cabinet Lysias Partners a été engagé au premier rang (Cass. Crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938), la réparation du préjudice écologique n’a cessé de progresser.
La reconnaissance législative
Sur le plan législatif, la loi du 8 août 2016 relative à la reconquête de la biodiversité a inscrit dans le code civil un régime juridique complet visant à réparer le préjudice écologique (articles 1246 et suivants du code civil). Ainsi, est réparable « le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » (article 1247 du code civil).
Les prémices jurisprudentielles
Sur le plan jurisprudentiel, le difficile maniement de ces nouvelles dispositions explique le faible nombre de décisions rendues à ce jour. Néanmoins, quelques décisions témoignent d’une montée en puissance du dispositif législatif. La Cour de cassation a d’abord affirmé que le régime administratif de remise en état prévu aux articles L. 160-1 et suivants du code de l’environnement ne fait pas obstacle à l’application des dispositions du code civil visant à la réparation du préjudice écologique (Cass., Crim., 22 mars 2016, n° 13-87.650). Le préjudice écologique a ensuite connu quelques applications devant les juges du fond. La Cour d’appel de Besançon a ainsi ordonné la réparation du préjudice écologique consécutif à l’assèchement d’un canal par l’exploitant d’une centrale hydraulique (CA Besançon, 30 octobre 2018, RG n° 17/01352). Un bailleur rural a en outre obtenu la réparation du préjudice écologique causé par le débroussaillage et l’arrachage d’arbres par son fermier. A ici été indemnisé le coût d’entretien des chênes sur 125 ans et celui de leur remise en état (CA Limoges, 24 juin 2019, RG n° 2019/00110).
La concrétisation opérationnelle
C’est surtout une décision récente du tribunal correctionnel de Marseille dans laquelle intervenait Maître Sébastien Mabile qui mérite l’attention (TC Marseille, 6 mars 2020, n° 18330000441). Elle concerne la réparation du préjudice écologique consécutif à des pêches interdites au sein du Parc national des Calanques. Cette décision est avant tout remarquable en raison du montant des indemnisations prononcées par le juge, plus de 350 000 euros. Mais derrière ce montant conséquent, c’est surtout la méthode d’évaluation retenue par le juge qui est intéressante. Alors que les dispositions du code civil donnent une priorité à la réparation en nature, cette dernière a été très justement écartée par le juge, au motif que celle-ci impliquait plus de risques de perturbation que d’avantages pour le milieu marin, soulignant ainsi les limites de l’ingénierie écologique qui vise à la reconstitution des milieux naturels. Pour monétariser le préjudice écologique, le juge commence par écarter son évaluation en fonction de l’unique masse de poisson pêché illégalement. Ainsi, « la caractérisation de la gravité de l’atteinte à l’écosystème nécessite de prendre en compte, au-delà de ce seul poids, l’importance de chaque espèce pour l’équilibre de l’écosystème et la gravité corrélative de l’atteinte ou du déséquilibre induit ». Par application d’un indice de conversion trophique, le juge quantifie plus finement l’impact sur l’écosystème en attribuant des coefficients aux différentes espèces pêchées selon leur place dans la chaîne alimentaire. Ainsi, la destruction d’un prédateur équivaut à dix fois la destruction de ses proies compte tenu du fait « le prédateur doit consommer 10 kilos de proies pour former un kilo de matière ». Laissant de côté certaines méthodes connues, le juge applique une méthode empirique en examinant l’investissement nécessaire pour obtenir une augmentation de la biomasse. Sur la base de l’expérience du parc, il est alors établi qu’un accroissement de la biomasse de l’écosystème des calanques de 2,7 kilos de poissons nécessite un investissement d’environ 5000 euros par le Parc national, ce qui conduit in fine à évaluer à 350 000 euros la somme nécessaires à la réparation.
Au-delà du cas d’espèce, cette décision montre combien la réparation du préjudice écologique, même si elle est difficile à mettre en œuvre pour les requérants, doit être prise en sérieux. Il faut également souligner le rôle moteur joué par le Parc national des Calanques. Si les associations agrées pour la protection de l’environnement assument traditionnellement la poursuite des atteintes à l’environnement devant les tribunaux, il est intéressant de constater que certains établissements publics étatiques intègrent désormais l’action en justice dans leurs missions.
Julien Bétaille
Maître de conférences à l’Université Toulouse 1 Capitole
Pour aller plus loin, voir T. Fossier, « De la réparation du préjudice environnemental in concreto », Droit de l’environnement, 2020, n° 288, p. 137 ; B. Parance, « Décision majeure sur la réparation du préjudice écologique », JCP G, 6 juillet 2020, n° 825 ; L. Neyret et G.-J. Martin, Nomenclature des préjudices environnementaux, LGDJ, 2012.