Tribune de Jean-Pierre dans Le Monde

Le chercheur en droit Kamel El Hilali et l’avocat Jean-Pierre Mignard suggèrent, dans une tribune au « Monde », de mutualiser l’usage du matériel d’intervention, comme les Canadair et les engins de déblaiement, afin de faciliter les interventions rapides des équipes en cas de catastrophes naturelles autour de la Méditerranée.

Séismes au Maroc et en Turquie. Incendies à répétition en Espagne, en France, en Grèce, en Turquie, au Maroc. Inondations en Bulgarie, en Grèce, en Turquie, et à présent en Libye. Eboulement en France.

Les pays du bassin méditerranéen subissent avec une particulière intensité les conséquences du réchauffement climatique. Pourtant, à chaque épisode, et alors que les premières heures sont cruciales pour le sauvetage des victimes et la préservation de l’environnement, les autorités nationales se retrouvent à intervenir en autonomie face à des phénomènes dont l’ampleur dépasse largement leur capacité de prise en charge. La solidarité des pays voisins, souvent proposée, n’intervient que tardivement, si tant est qu’elle soit acceptée, ce qui est un obstacle supplémentaire.

On observe régulièrement que le matériel manque cruellement pour lutter contre les incendies, porter secours aux habitants en danger et assurer le retour à une situation sous contrôle des autorités nationales. Cet été, l’Espagne et la France n’ont pas disposé de suffisamment de Canadair pour éteindre les incendies et ont accepté de sacrifier des hectares de forêts pour contenir la propagation des feux. De même, la Turquie et le Maroc ont manqué de matériel et de personnel formé aux risques sismiques, avec les terribles pertes humaines que cela entraîne. Il en va de même en Bulgarie, en Grèce et en Libye, où le cyclone Daniel a emporté des vies après son passage et faute de matériel de déblaiement et de secours.

Améliorer la réponse

Les catastrophes climatiques à répétition vont éprouver les populations, les secouristes, les finances publiques et la confiance envers les gouvernants. Cependant, le seul remède à la démobilisation et à la désolation demeure la coopération. Il est plus que temps de l’organiser et de soustraire la réponse aux catastrophes des contingences de nature politique qui en perturbent le cours.

Alors, nous proposons aux pays du bassin méditerranéen de signer une convention de coopération et d’assistance pour améliorer la réponse aux phénomènes climatiques de grande ampleur. Idéalement, cette convention réunirait l’ensemble des pays de la région qui y ont tous un intérêt manifeste. Cependant, nous pouvons sans attendre espérer qu’un groupe de pays, au rang desquels sept Etats – la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie –, prenne le leadership de cette initiative et joue un rôle moteur.

Concrètement, ce mécanisme inédit doit permettre, par exemple à travers la création d’un fonds de dotation, de mutualiser l’achat de matériel d’intervention (Canadair, hélicoptères, engins de déblaiement, robots, matériel médical, denrées de première nécessité) stocké dans des hubs localisés, dans les ports ou les aéroports du pourtour méditerranéen, afin de faciliter les interventions rapides des équipes, le sauvetage des populations touchées et la préservation de l’environnement (en cas d’incendie de forêt).

Limiter le coût

Naturellement, la coordination des équipes de sauvetage jouera un rôle essentiel dans ce mécanisme. Il faudra ici compter sur les protocoles existants et l’appui déterminant des ONG pour assurer une communication plus efficace. Une plate-forme en ligne pourrait ainsi être créée afin de centraliser les informations (matériel nécessaire à l’intervention, zone géographique sinistrée, contact…) et d’améliorer leur diffusion auprès des professionnels en fonction de leur spécialité. Ce mécanisme favorisera la montée en compétences des équipes d’intervention mobiles. Si l’on peut compter sur l’engagement de la société civile, l’effort financier doit avant tout reposer sur les Etats, qui disposent de moyens considérables, d’agents capables d’assurer la gestion continue de ce système et d’un intérêt réel à le maintenir au meilleur niveau.

La constitution d’un tel réseau profitera directement aux Etats et aux populations qui accueillent ces hubs. Il ne s’agit pas de se priver de matériel, mais d’en mutualiser l’usage afin de limiter le coût des matériels les plus chers (hélicoptères, Canadair, machines de déblaiement…).

Voyons plus loin. Un tel mécanisme pourra être reproduit dans d’autres régions du monde confrontées aux mêmes enjeux. A terme, les partages de bonnes pratiques permettront aux populations et aux Etats de mieux anticiper et répondre au défi de notre époque, et de se protéger de leurs divergences sur d’autres causes. Seul doit compter le secours dû aux sinistrés.

Kamel El Hilali, docteur en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas, chercheur associé à l’Information Society Project de la Yale Law School ; Jean-Pierre Mignard, avocat, associé et fondateur de la société Lysias Partners, docteur en droit pénal et maître de conférences à Sciences Po Paris.

La tribune est à retrouver sur le site internet du journal Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/26/face-aux-catastrophes-climatiques-proposons-aux-pays-du-bassin-mediterraneen-de-signer-une-convention-de-cooperation_6191009_3232.html